SWITCH (Theory vs Everyday Experience), 1995

2 caméras de surveillance ; 1 moniteur de contrôle, 5 poupées, 1 sphère en fibre de verre, 2 ampoules sonores,
4 bandes vidéo couleur, son (anglais), 2 bandes sonores, (français)


Installation composée de huit éléments dispersés dans l'espace de présentation, SWITCH est une sorte de théâtralisation du sujet contemporain tiraillé entre la pratique et la théorie, ainsi que l'indique le sous-titre de l'œuvre : Theory vs. Everyday Experience, "La théorie contre l'expérience quotidienne". Le terme "versus" souligne la modalité combattive de cette étrange rencontre entre les personnages, mais aussi avec les spectateurs qui les découvrent et se mettent à écouter leurs curieuses ratiocinations.



"Switch" est un mot suffisamment vague pour que l'on puisse l'entendre comme un changement, une permutation, un échange, un détournement, ou encore comme le fait d'éteindre ou d'allumer quelque commutateur. En découvrant progressivement les personnages, on peut bien entendu comprendre qu'il s'agit d'un changement ou d'un passage d'un modèle théorique et/ou pratique à un autre, chacun se comportant différemment sans que s'établisse d'ailleurs entre eux une hiérarchie ni même un ordre d'apparition. Oursler prenant en compte la spécificité architecturale du lieu, utilisant ici les espaces liminaux du musée, que les artistes n'utilisent généralement pas (murs, sols, cubes blancs, boîtes noires), ce n'est qu'après avoir rencontré tous les personnages de ce petit théâtre, dissimulés ici et là, que l'on peut se faire une idée plus précise, mais demeurant plurivoque, de ce qu'ils sont et de ce qu'ils font, en théorie et en pratique. La poupée intitulée "Émotions" exprime, uniquement par onomatopées, le rire ou le contentement, la peur ou la colère, le bienêtre, le dégoût, l'angoisse, ou encore le plaisir. En dépit de leur appellation, les "Lumières parlantes" (deux ampoules synchronisées avec du son) ne se parlent pas véritablement : elles déroulent plutôt leur monologue. Mais l'échange existe virtuellement, comme par complémentarité, puisque la rouge, associée à une voix masculine, défend la vision négative du "moi", alors que la verte, associée à une voix féminine, en défend une vision positive. Le "Metteur en scène" ou "Réalisateur" (director), donne des instructions à une équipe que nous ne voyons pas, et la sensation qu'il doit s'agir de nous-mêmes nous envahit soudain, renforcée par certaines phrases telles que : "Vous êtes tous là en même temps, dans le même espace", ou : "Eh, toi ! le type avec le visage, je te vois bouger !" Le "Simulacre" est, quant à lui, interactif : le spectateur peut, à travers la poupée dont il est invité à manipuler le dispositif (une caméra et un micro), grâce à une station de surveillance avec moniteur, micro et manette, entrer en contact avec un autre lieu de l'espace d'exposition, et se déplacer ainsi avec un faux corps. Les "Philosophes" (un même personnage dédoublé, ou ayant un jumeau) poursuivent eux aussi des monologues où alternent des banalités (comment soigner une grippe...) et des questions bien plus sérieuses, relatives au jugement, à la conscience, à la nécessité, ou à la valeur de vérité des propositions. Dans la "Projection murale", une caméra de surveillance cachée capte les personnes qui se trouvent à l'extérieur du musée et projette leur image à l'intérieur, transformant les temps et les espaces, ainsi que leurs fonctions. Enfin, "L'Œil", orbite imposante dont on pense tout d'abord qu'elle nous surveille, est en réalité en train de regarder la télévision en passant fébrilement d'un programme à l'autre, activité attestée par les reflets que l'on discerne dans l'iris et par les différentes voix des présentateurs et des comédiens provenant du poste. Plusieurs lectures s'offrent à nous, toutes plausibles : chaque personnage est en réalité la métaphore d'un seul individu divisé en plusieurs moi, ayant autant de formes d'existence, d'attitudes, d'émotions et de réflexions que lui en proposent les technologies qu'il manipule ou qui le manipulent, dont il se sert ou qui se servent de lui, qui font partie de lui ou que, tout simplement, il utilise.es personnages sont asservis à cet Œil omnipotent et omniscient qui semble tout contrôler et diriger par son seul regard, qui se fixe sur chaque détail, mouvement, parole ou expression – et rappelle, inévitablement, celui de Big Brother dans 1984. Ou bien ce sont, au contraire, les personnages qui contrôlent l'Œil : les programmes qui fascinent ce dernier sont peut-être les mises en scène réalisées pour nous par Oursler, dévoilées et mises à nu. Toutes sortes de médias nous dominent et fracturent ce moi que nous sommes, pour mieux distiller leur idéologie marchande et instrumentale, ce dont discutent précisément " Les Philosophes " (à partir, entre autres, d'extraits de textes de R. Barthes, M. Foucault, G. W. Leibniz, I. Kant, P. Kitcher) : que faut-il faire, comment agir, doit-on juger ainsi ? Mais une écoute plus attentive et une mise en relation avec les autres personnages nous ramènent à la question initiale : toutes ces paroles théoriques qui ne semblent aboutir à rien de concret, de pratique, d'applicable, à une action qui pourrait changer le cours des choses, sont-elles pensées pour nous par les médias, par les personnages que nous écoutons ? En réalité, ne sommes-nous pas, à notre tour, des personnages pensés par les objets que nous fabriquons et que nous croyons maîtriser ? Si l'installation, dans son ensemble, apparaît comme un récit se rapportant métaphoriquement au système cinématographique, nous pourrions également comprendre que nous avons intégré un film dont nous sommes, à la fois, des spectateurs et des acteurs soumis aux directives du metteur en scène.


Jacinto Lageira